Imaginez que du jour au lendemain, tous les fichiers de votre entreprise deviennent inaccessibles. Vos documents, vos bases de données, vos projets en cours, tout est verrouillé derrière une demande de rançon. Ce scénario n’est pas une fiction : c’est la réalité du ransomware, une menace cyber qui cible aussi bien les grandes entreprises que les particuliers. Comprendre ce qu’est un ransomware, comment il fonctionne et comment s’en protéger est aujourd’hui indispensable pour toute organisation connectée à Internet.
Comment fonctionne une attaque par ransomware et quels sont ses objectifs
Le terme ransomware (ou rançongiciel en français) désigne un type de maliciel conçu pour bloquer l’accès aux fichiers ou au système d’une victime en les chiffrant. Une fois les données rendues inaccessibles, les cybercriminels exigent une rançon, généralement payée en cryptomonnaie comme le Bitcoin ou le Monero, pour remettre une clé de déchiffrement. L’anonymat offert par ces devises numériques rend leur traçabilité extrêmement difficile. Les attaques par ransomware ne se limitent plus à des campagnes massives et impersonnelles. De plus en plus, elles sont le fruit d’une phase de reconnaissance préalable : les cybercriminels identifient leur cible, analysent son réseau, puis lancent une attaque planifiée, avec des mécanismes de propagation sophistiqués. Certains ransomware intègrent également des fonctions de vol de données, ce qui leur permet de doubler la pression en menaçant de divulguer publiquement des informations sensibles si la rançon n’est pas payée. Le déroulement d’une attaque suit généralement les étapes suivantes :
Étape | Description de l’étape de l’attaque |
---|---|
Reconnaissance | Avant même l’infiltration, certains groupes de ransomware réalisent une phase de reconnaissance active et passive. Ils scannent les ports ouverts, identifient les versions logicielles en usage, testent les mots de passe faibles via RDP ou VPN, et cartographient les ressources internes visibles depuis l’extérieur. Des outils comme Nmap, Shodan ou Censys sont souvent utilisés à cette étape. |
Infiltration | Le ransomware pénètre dans le système cible via des vecteurs multiples : phishing avec pièce jointe malveillante (macro ou script PowerShell), téléchargements drive-by sur des sites compromis, exploitation de vulnérabilités non corrigées (ex : CVE-2021-44228 pour Log4Shell), ou encore par le biais de sessions RDP mal sécurisées. Certains groupes utilisent aussi des accès vendus par des initial access brokers. |
Prise de contrôle initiale | Une fois un premier point d’accès établi, les attaquants cherchent à maintenir leur présence et élever leurs privilèges. Ils peuvent exploiter des failles locales (escalade de privilèges) ou des outils comme Mimikatz pour extraire les identifiants. Ils installent ensuite des portes dérobées (backdoors) et désactivent les antivirus ou EDR via des scripts automatisés ou des commandes PowerShell. |
Mouvement latéral | Les cybercriminels utilisent des outils légitimes comme PsExec, WMI ou RDP pour se déplacer latéralement dans le réseau. Ils identifient les serveurs de fichiers, les partages réseau et les volumes de sauvegarde. L’objectif est de chiffrer un maximum de systèmes et de neutraliser les moyens de récupération. |
Exfiltration (optionnelle) | Dans les attaques de type double extorsion, les données sont copiées et exfiltrées avant le chiffrement. Les attaquants utilisent des outils comme Rclone ou MEGA CLI pour transférer discrètement des volumes importants vers des services cloud ou des serveurs de commande et de contrôle (C2), généralement chiffrés en TLS et dissimulés via Tor. |
Exécution | Le ransomware se déclenche souvent de manière manuelle ou programmée via des scripts batch, Task Scheduler ou GPO (Group Policy Objects). Il chiffre les fichiers à l’aide d’algorithmes robustes comme AES-256 pour le contenu et RSA-2048 pour les clés de session. Certains ransomwares désactivent les processus système (ex : bases de données ou services Exchange) pour éviter les fichiers verrouillés. |
Communication | Une fois le chiffrement terminé, un message de rançon est affiché. Il peut s’agir d’un fichier texte sur chaque répertoire chiffré, d’un fond d’écran modifié, ou d’une interface web locale. Ce message contient généralement une adresse Tor, un identifiant unique, et parfois un canal de communication via messagerie chiffrée (Tox, ProtonMail, Jabber). |
Extorsion | Les attaquants fixent un montant de rançon à payer en cryptomonnaie (souvent Bitcoin ou Monero), avec une deadline. Si la victime refuse, les cybercriminels menacent soit de publier les données sur des « leak sites », soit de revendre les fichiers sur des forums illégaux. Dans certains cas, ils appellent ou envoient des emails directement à la direction ou aux clients pour accentuer la pression. |
Post-exploitation (optionnelle) | Si la rançon est payée, les attaquants envoient parfois un décrypteur. Celui-ci peut être instable, contenir des portes dérobées supplémentaires ou laisser des traces persistantes. Dans les cas où la rançon n’est pas payée, les attaquants peuvent continuer à exploiter le réseau, vendre l’accès ou préparer une seconde attaque via un autre malware. |
Si le but premier du ransomware est généralement financier, les objectifs peuvent varier. Certains groupes visent délibérément des institutions publiques, des infrastructures critiques ou des entreprises de santé, dans l’intention de provoquer une perturbation massive. D’autres utilisent les ransomware comme outil de déstabilisation politique ou économique, dans ce qu’on appelle des attaques à motivation géopolitique. Dans tous les cas, ces actions exploitent les vulnérabilités humaines, techniques et organisationnelles pour obtenir un effet maximal avec un effort souvent automatisé.
L’histoire et les origines des ransomware
Les ransomwares, bien qu’ils soient aujourd’hui au cœur des préoccupations en cybersécurité, ne sont pas un phénomène récent. Leur histoire remonte à la fin des années 1980, bien avant l’essor d’Internet tel que nous le connaissons. Le tout premier ransomware connu est apparu en 1989, sous le nom de AIDS Trojan ou PC Cyborg. Ce programme a été distribué via des disquettes envoyées par la poste à des chercheurs en santé, notamment ceux travaillant sur le VIH. Une fois installé, il chiffré des fichiers du système et demandait une rançon à envoyer par courrier postal au Panama. Bien que rudimentaire, ce rançongiciel posait déjà les bases du modèle économique de l’extorsion numérique.
Pendant les années 1990 et le début des années 2000, les ransomwares restaient rares, en partie à cause de la faible adoption d’Internet à grande échelle et de la complexité du chiffrement de l’époque. Les cybercriminels privilégiaient alors d’autres méthodes de piratage comme les virus classiques ou les vers informatiques. Cependant, avec l’amélioration des algorithmes de chiffrement et la généralisation de l’accès au web, le contexte est devenu beaucoup plus favorable à l’émergence de ransomwares plus efficaces et discrets. C’est à partir de 2005 que le phénomène a commencé à se structurer. Les premiers ransomwares modernes, tels que GPCoder, ont utilisé un chiffrement beaucoup plus robuste et étaient diffusés par e-mail ou via des sites compromis. Ces attaques restaient ciblées et peu répandues, mais elles annonçaient une nouvelle ère où les cybercriminels allaient pouvoir industrialiser l’extorsion numérique à grande échelle.
L’année 2013 marque un tournant majeur avec l’apparition de CryptoLocker, un ransomware distribué via des campagnes massives de phishing. CryptoLocker utilisait un chiffrement RSA avancé et demandait des rançons en Bitcoin, une cryptomonnaie qui assurait l’anonymat des paiements. Ce fut la première attaque à grande échelle qui démontra la viabilité du modèle économique des ransomware. En quelques mois, les auteurs de CryptoLocker ont récolté plusieurs millions de dollars, attirant l’attention d’autres groupes cybercriminels. Depuis, les ransomwares ont connu une évolution rapide, tant sur le plan technologique qu’organisationnel. L’apparition de modèles tels que le Ransomware-as-a-Service (RaaS) a permis à n’importe quel individu, même sans compétences techniques avancées, de lancer une attaque en louant une plateforme malveillante. Cela a mené à une explosion du nombre d’attaques dans les années 2015-2020, avec des cibles allant des particuliers aux grandes entreprises, en passant par les hôpitaux, les écoles et les collectivités locales.
Enfin, l’attaque de WannaCry en mai 2017 reste l’un des épisodes les plus médiatisés de cette histoire. Propagée en quelques heures à travers le monde grâce à une vulnérabilité Windows exploitée par un outil de la NSA (EternalBlue), cette attaque a paralysé des dizaines de milliers de systèmes dans plus de 150 pays. Depuis cet événement, la cybersécurité face aux ransomwares est devenue une priorité mondiale, et les gouvernements, entreprises et utilisateurs individuels sont désormais plus conscients des risques liés à cette menace persistante.
Les formes les plus répandues et leurs impacts
Depuis l’apparition des premiers ransomware dans les années 2000, les cybercriminels ont affiné leurs méthodes. Voici les principales variantes observées aujourd’hui :
- Crypto-ransomware : Le type le plus courant. Il chiffre les fichiers personnels et demande une rançon pour les déverrouiller. Exemples : WannaCry, CryptoLocker ;
- Locker ransomware : Il bloque complètement l’accès à l’appareil, y compris au système d’exploitation, empêchant toute utilisation ;
- Doxware : Variante plus agressive qui menace de publier des données sensibles si la rançon n’est pas payée ;
- Ransomware-as-a-Service (RaaS) : Les pirates proposent le ransomware comme un service aux autres cybercriminels, moyennant une commission sur les rançons collectées. Cela rend les attaques encore plus accessibles.
Les conséquences peuvent être dramatiques :
- Perte de données : En l’absence de sauvegardes efficaces, les données peuvent être irrécupérables ;
- Arrêt de production : De nombreuses entreprises doivent suspendre leurs opérations pendant plusieurs jours ou semaines ;
- Atteinte à la réputation : La confiance des clients, des partenaires et des investisseurs peut être sérieusement ébranlée ;
- Coûts financiers importants : Entre la rançon, les frais de récupération et la perte d’exploitation, les montants peuvent atteindre plusieurs millions d’euros.
Un exemple marquant reste l’attaque de WannaCry en 2017, qui a paralysé plus de 200 000 ordinateurs dans 150 pays, y compris ceux du NHS au Royaume-Uni. Depuis, les ransomwares ont continué à évoluer, ciblant parfois des infrastructures critiques ou des hôpitaux, avec des conséquences humaines et économiques majeures.
Comment se protéger d’un ransomware et réagir en cas d’attaque
Face à la montée en puissance des ransomware, aucune organisation ni aucun individu n’est totalement à l’abri. Il n’existe pas de solution miracle ou de bouclier unique pour éviter toutes les attaques, mais une stratégie de défense en couches (combinant technologies, pratiques, formation et anticipation) permet de réduire considérablement les risques. Cette approche holistique repose sur trois piliers : la prévention technique, la sensibilisation humaine et une capacité de réponse bien structurée en cas d’incident.
La prévention technique
La prévention technique représente la première ligne de défense contre les ransomware. Elle repose sur des outils et des pratiques informatiques robustes qui visent à réduire les surfaces d’attaque et à bloquer l’exécution de logiciels malveillants avant qu’ils ne puissent causer des dommages.
- Mettez à jour régulièrement vos logiciels informatiques : Les ransomwares exploitent fréquemment des vulnérabilités connues dans les systèmes d’exploitation, les navigateurs, les suites bureautiques et les logiciels tiers. Appliquer rapidement les correctifs de sécurité (patchs) est essentiel pour empêcher les intrusions automatisées ;
- Utilisez une solution de sécurité complète : Un antivirus traditionnel ne suffit plus. Optez pour une suite de cybersécurité intégrant la détection comportementale (EDR), la prévention des intrusions, le filtrage web, l’analyse en temps réel des menaces et un pare-feu performant ;
- Segmentez votre réseau : En séparant les différentes zones de votre infrastructure (utilisateurs, serveurs, sauvegardes, IoT, etc.), vous limitez la capacité du ransomware à se propager de manière latérale une fois qu’il a infecté une machine ;
- Désactivez les macros par défaut : De nombreux ransomware sont activés par des macros intégrées à des documents Word ou Excel. Restreindre leur exécution par défaut, voire utiliser des solutions de lecture en mode protégé, est une mesure simple mais très efficace ;
- Activez la liste blanche des applications : limiter l’exécution des programmes aux seules applications autorisées par l’entreprise empêche les exécutables malveillants de se lancer ;
- Contrôlez les accès à distance : Les sessions RDP (Remote Desktop Protocol) sont souvent ciblées. Elles doivent être protégées par un VPN, une authentification multifactorielle et une surveillance régulière des connexions.
La sensibilisation humaine face aux ransomware
La technologie ne suffit pas si les utilisateurs, qu’ils soient employés, prestataires ou dirigeants, ne sont pas formés à détecter les signaux d’une tentative d’attaque. Les ransomwares misent souvent sur l’erreur humaine pour pénétrer dans un système.
- Formez vos collaborateurs : une campagne de sensibilisation continue permet de développer une culture de la cybersécurité. Apprendre à identifier un email de phishing, ne pas cliquer sur des liens suspects, ou encore éviter l’utilisation de clés USB inconnues fait partie des réflexes essentiels à inculquer ;
- Simulez des attaques : Les tests de phishing ou les exercices d’ingénierie sociale permettent de mesurer l’efficacité des formations. Cela aide aussi à corriger les comportements à risque avant qu’un véritable incident ne se produise ;
- Clarifiez les procédures de signalement : chaque membre de l’organisation doit savoir à qui s’adresser en cas de doute ou d’incident. Réagir rapidement à un clic sur un lien malveillant peut limiter les dégâts considérablement.
Réponse et récupération du système
Malgré toutes les précautions, une infection peut survenir. La capacité à réagir rapidement et à limiter les conséquences est donc tout aussi importante que la prévention. Cela implique de planifier, tester et renforcer les mécanismes de résilience technique et organisationnelle.
- Effectuez des sauvegardes régulières : il est indispensable de disposer de copies des données critiques, réalisées quotidiennement si possible. Ces sauvegardes doivent être conservées sur des supports hors ligne ou sur des serveurs isolés du réseau principal pour éviter leur chiffrement en cas d’attaque ;
- Testez vos sauvegardes : une sauvegarde inutilisable est aussi grave qu’une absence de sauvegarde. Il faut régulièrement vérifier que les données peuvent être restaurées rapidement et intégralement ;
- Élaborez un plan de réponse aux incidents : ce plan doit définir précisément les rôles de chacun (DSI, RSSI, direction, communication), les étapes à suivre en cas d’attaque, les outils à mobiliser, et les contacts à activer (autorités, experts en cybersécurité, assurances) ;
- Ne payez pas la rançon : en plus de ne garantir aucun retour des données, le paiement finance l’économie souterraine de la cybercriminalité. Il existe souvent des alternatives de récupération partielle grâce à des outils de déchiffrement disponibles en ligne (ex : No More Ransom) ;
- Conservez les preuves : avant toute tentative de nettoyage, conservez une image du système compromis. Ces données pourront être utiles pour une analyse forensique ou une plainte officielle.
Enfin, il est fortement recommandé de signaler toute attaque ou tentative à une autorité compétente. En France, l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et le site Cybermalveillance.gouv.fr accompagnent les particuliers, entreprises et collectivités dans la gestion de ces incidents. En les informant, vous contribuez aussi à la veille collective contre les nouvelles menaces.
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