En marketing comme en e-commerce, analyser le comportement des clients est essentiel pour piloter une stratégie efficace. Si l’acquisition de nouveaux clients est souvent au centre des attentions, la fidélisation et la satisfaction des clients existants sont des leviers tout aussi importants, voire plus rentables à long terme. C’est dans cette logique qu’intervient un indicateur clé du taux de réachat. Ce taux, encore trop souvent négligé, permet de mesurer la propension de vos clients à commander plusieurs fois auprès de votre marque. Il s’agit donc d’un signal fort de satisfaction, de confiance et de fidélité. Mais concrètement, qu’est-ce que le taux de réachat ? Comment le calculer ? Et surtout, comment l’améliorer ?
La définition du taux de réachat, son origine
Le taux de réachat (ou repeat purchase rate en anglais) est un indicateur marketing fondamental qui mesure la proportion de clients ayant effectué au moins deux achats sur une période donnée, en comparaison avec l’ensemble des clients ayant effectué un premier achat. Plus qu’une simple statistique, il est le reflet de la fidélité client, de la pertinence de l’offre et de la qualité de l’expérience utilisateur proposée par l’entreprise.
Cette notion est étroitement liée à l’analyse comportementale des consommateurs, un domaine qui s’est structuré dans les années 1960 et 1970 aux États-Unis, à l’intersection du marketing, de la psychologie et de la statistique. L’émergence du concept de « lifetime customer value » (valeur vie client), introduit notamment par Philip Kotler, professeur à la Kellogg School of Management de l’université Northwestern, a favorisé l’essor d’indicateurs liés à la récurrence d’achat. Kotler, considéré comme l’un des pères du marketing moderne, a souligné dès les années 1970 que fidéliser un client coûte cinq fois moins cher que d’en acquérir un nouveau, une idée qui continue de justifier l’analyse du taux de réachat aujourd’hui. Dans les années 1980, avec la démocratisation des bases de données client et les premières solutions de CRM (Customer Relationship Management), les grandes enseignes américaines comme Nordstrom ou Sears ont commencé à suivre de près le comportement d’achat post-première commande. C’est à cette époque que des outils comme les panels consommateurs, développés par des instituts comme Nielsen ou Kantar, ont introduit des métriques plus fines sur la rétention, dont le taux de réachat faisait partie.
Mais c’est surtout à partir des années 1990 et 2000, avec la montée en puissance du commerce électronique, que le taux de réachat devient un KPI central. Des entreprises pionnières du e-commerce comme Amazon, fondée en 1994 à Seattle, ont fait du suivi des comportements d’achat une science de précision. Jeff Bezos et ses équipes ont rapidement compris qu’un client fidèle et récurrent avait bien plus de valeur qu’un simple acheteur ponctuel. Les algorithmes de recommandation personnalisée, les emails de relance automatisés et les offres de fidélisation (comme le programme Amazon Prime lancé en 2005) sont autant de leviers conçus pour améliorer ce fameux taux de réachat. Le développement des outils d’analyse avancée (web analytics, scoring comportemental, intelligence artificielle) a permis aux entreprises, à partir des années 2010, de calculer avec finesse ce taux et de segmenter leur clientèle selon leur propension à racheter. Les plateformes comme Salesforce, HubSpot ou encore Klaviyo intègrent désormais nativement cet indicateur dans leurs tableaux de bord marketing.
Le taux de réachat ne se limite pas à un secteur en particulier. Il est utilisé dans :
- La grande distribution (ex : Carrefour, Walmart) pour évaluer la fidélité sur des produits de consommation courante ;
- Le luxe (ex : Chanel, Hermès) pour mesurer l’attachement à la marque sur des cycles d’achat plus longs ;
- L’abonnement (ex : Netflix, Spotify, HelloFresh), où le modèle repose justement sur la répétition de l’achat ;
- L’e-commerce indépendant, notamment via Shopify, pour optimiser les campagnes de retargeting et d’emailing.
Il est important de distinguer deux grandes catégories de réachat :
- Le réachat naturel : Il s’inscrit dans un cycle de consommation logique, propre au produit (cosmétiques, denrées alimentaires, papeterie, compléments alimentaires, etc.). Ce réachat est généralement régulier et prévisible ;
- Le réachat d’opportunité : Il intervient lorsqu’un client satisfait revient pour découvrir une autre partie de l’offre, profiter d’une promotion ou d’un service connexe. Ici, c’est l’expérience client ou le marketing relationnel qui déclenche l’acte d’achat.
Finalement, le taux de réachat est un indicateur qui raconte une histoire : Celle de la relation que l’entreprise parvient à tisser avec ses clients dans la durée. Il est né de la rencontre entre l’économie de la donnée, l’exigence croissante des consommateurs et l’évolution des modèles commerciaux. Aujourd’hui, il est au cœur des stratégies de rétention et de croissance durable, quels que soient le secteur, la taille ou l’ancienneté de l’entreprise.
Le calcul du taux de réachat
Le taux de réachat est l’un des indicateurs les plus accessibles à calculer, mais aussi l’un des plus riches en enseignements si l’on sait l’interpréter dans le bon contexte. Sa simplicité apparente cache une complexité stratégique : il ne suffit pas de le mesurer, encore faut-il le croiser avec d’autres variables pour en tirer des décisions concrètes.
Voici la formule de base utilisée dans la plupart des cas :
Taux de réachat = (Nombre de clients ayant commandé au moins deux fois / Nombre total de clients ayant passé une commande) × 100
Autrement dit, on cherche à savoir quel pourcentage des acheteurs n’en sont pas restés à leur première commande, mais ont effectué un acte de réachat sur une période donnée. Ce calcul doit impérativement être appliqué à une période cohérente avec votre activité : mensuelle, trimestrielle, semestrielle ou annuelle.
Un exemple concret pour mieux comprendre
Supposons que votre boutique en ligne ait enregistré 500 clients uniques sur le mois de juin. Parmi eux, 120 ont passé au moins une seconde commande pendant le même mois. Votre taux de réachat sera donc :
(120 ÷ 500) × 100 = 24 %
Ce taux signifie qu’un peu moins d’un quart de vos acheteurs de juin sont revenus une seconde fois dans le même mois pour effectuer un nouvel achat. C’est un bon point de départ, mais il faut aller plus loin pour comprendre les comportements.
À quelle fréquence mesurer le taux de réachat ?
Le choix de la période d’analyse est fondamental, car il doit refléter la réalité des comportements d’achat propres à votre secteur. Une période trop courte ou trop longue risque de fausser les conclusions ou de masquer des tendances importantes. Voici quelques exemples concrets :
- Un site de mode ou de décoration pourra analyser son taux de réachat sur un trimestre. Dans ces secteurs, les achats sont souvent influencés par des éléments subjectifs comme l’inspiration du moment, les collections saisonnières (printemps-été, automne-hiver) ou les événements commerciaux (soldes, fêtes, rentrée). Par exemple, une cliente peut acheter une robe en avril, puis revenir en juin pour une nouvelle collection ou un accessoire assorti. Analyser sur trois mois permet d’identifier ces retours spontanés ou déclenchés par l’actualité produit ;
- Une boutique de cosmétiques ou de nutrition choisira plutôt une analyse à J+30, J+60 ou J+90. Ces secteurs impliquent des produits à usage régulier (crème, sérum, compléments alimentaires, cure de vitamines, etc.), avec des délais de consommation relativement prévisibles. Par exemple, un client qui achète un flacon de 30 doses de magnésium sera naturellement en attente de renouveler sa commande autour du 30ᵉ ou 40ᵉ jour. Utiliser ces paliers permet d’anticiper et de piloter les relances automatiques ou les suggestions de réassort ;
- Un acteur du B2B peut suivre le taux de réachat sur une base semestrielle ou annuelle, en fonction de la fréquence d’achat de ses clients professionnels. Dans ce contexte, les décisions d’achat sont souvent soumises à des cycles budgétaires, à des appels d’offres ou à des besoins ponctuels liés à des projets. Par exemple, une agence de communication peut commander un lot de goodies en janvier pour un événement, puis repasser commande en septembre pour une nouvelle campagne. Analyser le taux de réachat sur une période longue permet de détecter ces rythmes plus lents mais tout aussi stratégiques.
Quelques indicateurs complémentaires à suivre
Le taux de réachat devient encore plus puissant lorsqu’il est croisé avec d’autres indicateurs qui éclairent les comportements d’achat dans la durée :
- Le délai moyen entre deux achats : Cet indicateur permet de mesurer le temps qui s’écoule, en moyenne, entre deux commandes passées par un même client. Il est particulièrement précieux pour comprendre le cycle de consommation naturel de vos produits ou services. Par exemple, si vos clients commandent habituellement tous les 45 jours, vous pourrez programmer des relances marketing (emails, notifications, codes promos) autour du 40ᵉ jour pour maximiser les chances de conversion. Cela permet également de détecter un allongement anormal du délai, signe possible d’une insatisfaction ou d’un désintérêt croissant ;
- Le taux de réachat à J+30, J+60, J+90 : Ce découpage temporel permet de suivre, par vagues, le comportement des clients dans les semaines qui suivent leur première commande. Ces paliers sont particulièrement utiles dans le cadre d’une stratégie de fidélisation automatisée, car ils permettent d’identifier les périodes propices à la relance. Par exemple, un taux de réachat très élevé à J+30 indique que vos campagnes de réactivation immédiates fonctionnent bien ; à l’inverse, une chute brutale entre J+30 et J+60 peut révéler un manque d’intérêt durable ou des problèmes post-achat à corriger ;
- Le nombre moyen de commandes par client : Il s’agit ici d’une moyenne simple entre le nombre total de commandes enregistrées sur une période et le nombre total de clients uniques. Cet indicateur permet de distinguer les clients occasionnels des clients réguliers. En l’analysant, vous pouvez repérer des segments à fort potentiel, comme les clients fidèles à valoriser avec des offres exclusives ou des programmes de fidélité. À l’inverse, un nombre moyen faible peut vous alerter sur un besoin d’amélioration de l’expérience ou de diversification de l’offre pour susciter un retour ;
- La Customer Lifetime Value (CLV) : C’est une mesure stratégique qui estime le revenu total qu’un client peut générer pour votre entreprise pendant toute la durée de sa relation avec votre marque. En combinant plusieurs données clés (taux de réachat, panier moyen de site E-commerce, durée de rétention et marge), la CLV vous aide à comprendre la valeur réelle d’un client au-delà de son premier achat. Cette donnée permet d’ajuster vos budgets d’acquisition client, de personnaliser vos campagnes et d’identifier les profils les plus rentables à long terme. Une CLV élevée est généralement corrélée à un taux de réachat régulier et à une excellente expérience client.
Les différences de taux de réachats selon les secteurs d’activité
Il n’existe pas de “bon” ou de “mauvais” taux de réachat universel. Tout dépend du produit ou service proposé, de sa fréquence de consommation, et du contexte de l’achat. Voici un tableau comparatif selon les secteurs :
Secteur | Taux de réachat moyen |
Beauté / Cosmétique | 30 % à 50 % |
Mode | 20 % à 40 % |
Électroménager | 5 % à 15 % |
Alimentation / Boissons | 40 % à 60 % |
Édition / Livres | 10 % à 30 % |
Par exemple, un site vendant des vêtements aura naturellement un taux de réachat inférieur à celui d’une épicerie en ligne. De même, une marque qui vend des produits coûteux ou à cycle d’achat long (matelas, électroménager, mobilier…) ne doit pas s’attendre à des réachats fréquents, mais plutôt à des recommandations ou des achats croisés.
Pourquoi le cycle de vie du produit est déterminant
Le taux de réachat est étroitement lié à la nature de votre offre. Il est donc essentiel d’analyser ce taux à la lumière du cycle de vie de vos produits :
- Les produits à consommation rapide (compléments alimentaires, thé, maquillage, entretien) génèrent des réachats fréquents, parfois mensuels ;
- Les produits durables (appareils électroniques, mobilier, électroménager) génèrent moins de réachats directs, mais offrent des opportunités sur la vente croisée, les accessoires, ou les services après-vente ;
- Les produits « coup de cœur » (mode, bijoux, déco) peuvent déclencher des réachats sur l’envie, à condition de maintenir un lien relationnel fort.
Enfin, il est pertinent de segmenter le taux de réachat par canal (email, retargeting, réseaux sociaux, Google Ads…) pour comprendre quelles sources d’acquisition fidélisent le mieux. En croisant vos données marketing avec votre base clients, vous pouvez identifier les leviers les plus efficaces pour améliorer ce taux dans le temps.
Le calcul du taux de réachat, bien qu’arithmétiquement simple, constitue donc un véritable levier de pilotage stratégique. Il vous permet de suivre la vitalité de votre relation client, d’optimiser vos investissements marketing, et de construire une marque durablement attractive.
0 commentaires