Lorsque vous ouvrez un site web, que vous naviguez dans une application mobile ou que vous consultez une interface utilisateur, une question revient sans cesse, de manière inconsciente : combien de temps me faudra-t-il pour trouver ce que je cherche ? La loi de Hick, aussi appelée loi de Hick-Hyman, permet de répondre précisément à cette interrogation. Fondée sur des recherches en psychologie cognitive, cette loi modélise le lien entre le nombre de choix présentés à un individu et le temps nécessaire pour prendre une décision. Elle s’impose comme un outil précieux dans le domaine de l’ergonomie, de l’informatique, du design d’interfaces (voir notre sujet sur le flat design) et même du marketing digital. Décryptons ensemble les fondements de cette loi, ses implications techniques et les domaines où elle s’applique concrètement.
L’origine et la définition mathématique de la loi de Hick
La loi de Hick tire ses racines de la psychologie expérimentale du milieu du XXe siècle, une période de transition durant laquelle les chercheurs s’intéressaient de plus en plus à la quantification des comportements cognitifs. Dans ce contexte, deux psychologues, William Edmund Hick (1900–1974), un Britannique spécialisé en psychologie expérimentale, et Ray Hyman (né en 1928), son homologue américain, ont entrepris une série d’expériences visant à comprendre comment les individus prennent des décisions face à plusieurs alternatives. Le fruit de leurs recherches est aujourd’hui connu sous le nom de loi de Hick-Hyman. Leurs travaux sont publiés respectivement en 1952 pour Hick (« On the rate of gain of information ») et en 1953 pour Hyman (« Stimulus information as a determinant of reaction time »). Ces deux études ont posé les bases de ce qui deviendra un pilier de l’ergonomie cognitive et de la conception des interfaces utilisateurs.
Dans ses expériences, Hick demandait à des sujets de réagir à des stimuli lumineux placés au-dessus de plusieurs boutons. L’un des boutons s’allumait au hasard, et le participant devait presser le bouton correspondant le plus rapidement possible. Ce protocole, simple en apparence, permettait de mesurer avec précision le temps de réaction en fonction du nombre d’options proposées. Il constata que ce temps augmentait de manière logarithmique avec le nombre de choix possibles. Cette découverte contredisait l’intuition selon laquelle le temps de décision augmenterait linéairement avec le nombre d’options. Hyman, de son côté, enrichit ces observations en explorant la variabilité des probabilités d’apparition des stimuli. Il montra que le temps de réponse ne dépendait pas uniquement du nombre de choix, mais aussi de la probabilité perçue de chacun de ces choix, introduisant ainsi une dimension informationnelle à la décision. En croisant leurs résultats, les deux chercheurs établirent que l’élément déterminant du temps de décision était la quantité d’information requise pour identifier la bonne réponse. Cela marqua une passerelle entre psychologie cognitive et théorie de l’information, alors en plein essor sous l’impulsion de Claude Shannon.
Cette approche a permis de formaliser la prise de décision en termes quantitatifs, un progrès significatif à l’époque. Le modèle qui en découle s’inscrit dans une volonté de rationalisation du comportement humain face à l’information, notamment dans des contextes où la rapidité de réponse est primordiale, comme les systèmes de commande, les dispositifs militaires ou, plus tard, les interfaces informatiques.
La formulation mathématique de la loi de Hick
La version de base de la loi de Hick repose sur la fonction logarithmique binaire. Elle s’écrit :
T = b × log₂(n + 1)
où :
- T représente le temps moyen de réaction (exprimé en secondes ou millisecondes),
- n est le nombre de choix ou de stimuli disponibles,
- b est une constante spécifique au sujet ou à la tâche, déterminée empiriquement.
Le terme log₂(n + 1)
traduit la quantité d’information à traiter. L’ajout de 1 au nombre de choix (n
) prend en compte l’incertitude initiale quant à la nécessité de répondre : ce n’est pas simplement un choix entre options, mais aussi la détection préalable de la nécessité d’agir. Cette subtilité mathématique donne au modèle une dimension plus réaliste, notamment dans les environnements où le stimulus n’est pas systématique ou prévisible.
Extension à des probabilités inégales : L’introduction de l’entropie
Dans les situations où tous les choix ne sont pas également probables, la loi est enrichie par la notion d’entropie, empruntée à la théorie de l’information. L’entropie mesure l’incertitude d’un ensemble de choix. Plus les choix sont équilibrés, plus l’entropie est élevée ; inversement, si un choix est très probable, l’incertitude est réduite.
Dans ce cadre, la formule de la loi de Hick devient :
T = b × H
avec :
H = ∑ (pi × log₂((1 / pi) + 1))
où pi est la probabilité que le ie choix soit le bon. Cette variante permet de modéliser des contextes plus proches de la réalité, dans lesquels les utilisateurs ne perçoivent pas toutes les options comme également plausibles. Par exemple, dans une interface où un bouton est utilisé 80 % du temps, l’utilisateur développera des réflexes et prendra sa décision plus rapidement que si toutes les options étaient utilisées également.
Dans les systèmes intelligents modernes, on exploite même cette logique pour anticiper les besoins de l’utilisateur : En prédisant la probabilité d’un choix (par analyse comportementale ou apprentissage automatique), on peut réorganiser dynamiquement les interfaces pour réduire l’entropie perçue et ainsi accélérer la prise de décision (voir notre article sur la psychologie dans la vente en ligne).
L’interprétation cognitive et heuristique de la loi de Hick
La forme logarithmique de la loi de Hick se comprend aussi sur le plan cognitif. Les êtres humains n’évaluent pas toutes les options une par une. Ils utilisent des stratégies de regroupement mental, appelées « heuristiques de catégorisation ». Face à un grand nombre de choix, nous divisons inconsciemment l’ensemble en sous-groupes, éliminant environ la moitié des options restantes à chaque étape — un processus qui correspond mathématiquement à une logique binaire, expliquant ainsi la présence du logarithme en base 2.
Ce comportement mental est observable dans de nombreuses situations du quotidien : chercher un mot dans un dictionnaire, sélectionner un fichier dans une arborescence, ou choisir un article dans un menu numérique. La loi de Hick nous donne un outil pour quantifier et prédire cette charge cognitive.
Notons également que la constante b est essentielle dans la mise en œuvre de la loi. Elle peut varier selon la tâche (visuelle, auditive, motrice), le niveau d’expertise de l’utilisateur, ou encore le stress ambiant. Les chercheurs peuvent l’ajuster par des études expérimentales pour modéliser précisément des scénarios spécifiques.
Applications pratiques en informatique et en UX design
La loi de Hick trouve de nombreuses applications concrètes dans le domaine de l’informatique, notamment dans le design d’interfaces utilisateur (UI) et l’expérience utilisateur (UX). Comprendre cette loi permet de concevoir des environnements numériques plus efficaces et intuitifs.
Voici quelques domaines où la loi de Hick est particulièrement pertinente :
Plus un menu contient d’options, plus l’utilisateur mettra de temps à faire un choix. C’est l’une des manifestations les plus visibles de la loi de Hick dans le design d’interfaces numériques. Lorsqu’un utilisateur ouvre un menu déroulant ou accède à une barre de navigation, il doit analyser chaque option pour trouver celle qui correspond à son besoin. Cette analyse mentale consomme du temps, surtout si les intitulés sont longs, peu explicites ou redondants.
Pour pallier cela, les concepteurs d’interfaces recourent à des stratégies de simplification : Création de sous-menus, regroupement d’éléments similaires, usage d’icônes accompagnées de libellés ou encore l’affichage progressif (menus dits « méga menus »écartés pour plus d’adaptatif). Ces méthodes permettent de fragmenter l’information, en guidant progressivement l’utilisateur vers son objectif final tout en réduisant la charge cognitive à chaque niveau de décision.
Par exemple, un site e-commerce bien conçu proposera des catégories de produits claires (« Vêtements », « Électronique », « Maison ») avant de détailler chaque sous-type. Cette hiérarchisation exploite une forme intuitive de navigation en entonnoir, qui s’aligne parfaitement sur le modèle de la loi de Hick. En SEO aussi, on vous le dit chez Facem Web : Le mega menu, c’est nul.
2. Formulaires et tunnels de conversion
Dans le secteur du e-commerce et plus largement dans toute interface transactionnelle, la structure des formulaires joue un rôle déterminant dans le taux de conversion. Plus le nombre de champs ou de décisions demandées à l’utilisateur est élevé, plus le temps de réflexion et le risque d’abandon augmentent. La loi de Hick explique ce phénomène : Chaque champ à remplir représente un micro-choix, une micro-hésitation potentielle, notamment lorsque plusieurs réponses ou formats sont possibles.
Pour améliorer la performance des tunnels de conversion, il est recommandé de limiter le nombre d’étapes visibles à la fois, de grouper les champs par logique fonctionnelle (identité, livraison, paiement) et de proposer des options par défaut lorsque cela est pertinent (ex. : pays de livraison présélectionné selon la localisation de l’utilisateur).
Certains sites appliquent également le principe de « progressivité contrôlée » : Ils ne dévoilent le champ suivant qu’après la validation du champ en cours. Cette méthode permet de réduire l’effet intimidant d’un long formulaire et d’éviter une surcharge de choix simultanés, ce qui diminue l’entropie décisionnelle et s’inscrit pleinement dans les principes de la loi de Hick.
3. Commandes vocales ou systèmes de reconnaissance
Dans les systèmes à commande vocale (assistants intelligents, véhicules connectés, enceintes domestiques) la problématique n’est pas tant l’affichage visuel des options que leur mémorisation. L’utilisateur doit connaître ou deviner les commandes possibles sans interface graphique directe. Cela rend la loi de Hick encore plus pertinente, car plus le système propose de commandes différentes, plus l’utilisateur aura besoin de temps pour formuler une requête correcte ou pour se souvenir de la syntaxe attendue.
Pour optimiser ce type d’interface, il convient de limiter le nombre de commandes disponibles dans un même contexte d’usage, ou d’organiser les interactions autour de scénarios conversationnels dirigés. Par exemple, un assistant vocal peut guider l’utilisateur en lui proposant une liste restreinte d’actions (« Souhaitez-vous écouter de la musique, consulter la météo ou envoyer un message ? »), ce qui limite la profondeur de l’arborescence décisionnelle.
Par ailleurs, les systèmes avancés d’IA peuvent adapter dynamiquement les options en fonction des habitudes ou préférences de l’utilisateur, réduisant ainsi le nombre de choix à considérer à chaque interaction — un usage intelligent de la loi de Hick combinée à la personnalisation contextuelle.
4. Conception de panneaux de contrôle ou tableaux de bord
Dans les environnements industriels, aériens ou médicaux, les interfaces physiques telles que les panneaux de contrôle, les tableaux de bord ou les postes de commande regroupent souvent une grande variété d’éléments d’action : Boutons, interrupteurs, voyants lumineux, écrans de surveillance. L’enjeu est alors de permettre une prise de décision rapide et fiable, parfois sous stress ou en situation critique.
Appliquer la loi de Hick dans ces contextes implique de penser l’ergonomie en profondeur. Il est essentiel de regrouper les commandes par zones fonctionnelles (ex. : sécurité, navigation, maintenance), d’utiliser des codes couleurs normalisés et de hiérarchiser visuellement les éléments selon leur fréquence d’utilisation ou leur criticité. Les éléments les plus utilisés doivent être plus visibles, accessibles et immédiatement identifiables.
Dans le domaine de l’aviation par exemple, les cockpits modernes sont conçus selon une logique de cockpit centré utilisateur où l’ordre, la disposition et la hiérarchie des instruments sont pensés pour minimiser le temps de décision, notamment en situation d’urgence. Cela repose directement sur les mécanismes décrits par la loi de Hick, afin de limiter la surcharge cognitive et les erreurs humaines.
Comparaison avec la loi de Fitts et perspectives complémentaires
Il est courant d’associer la loi de Hick à une autre loi comportementale bien connue : La loi de Fitts. Tandis que la loi de Hick s’intéresse au temps nécessaire pour prendre une décision, la loi de Fitts évalue le temps nécessaire pour atteindre une cible (comme cliquer sur un bouton), en fonction de la distance à parcourir et de la taille de la cible. Les deux lois, souvent combinées, permettent d’optimiser les interactions homme-machine sur deux axes : La sélection mentale (Hick) et la navigation physique (Fitts). Par exemple, dans une interface graphique, placer les éléments importants à des endroits facilement accessibles (Fitts) et limiter leur nombre (Hick) constitue une double optimisation ergonomique. En outre, l’évolution des interfaces utilisateur tend à intégrer des mécanismes d’intelligence artificielle qui anticipent les choix de l’utilisateur, réduisant ainsi le nombre d’options réellement présentées. Cela correspond à une forme de « réduction dynamique de l’entropie », prolongeant l’application de la loi de Hick dans des environnements adaptatifs et intelligents.
Enfin, il est important de noter que la loi de Hick s’applique essentiellement à des décisions simples, où les choix sont clairement définis et connus à l’avance. Dans des situations plus complexes, où les critères de choix varient ou nécessitent une évaluation qualitative, d’autres modèles décisionnels doivent être envisagés.
Pour conclure ce sujet sur la loi de Hicl (ou Hick’s law)
La loi de Hick, en tant que modèle fondamental de l’ergonomie cognitive, offre des repères précieux pour comprendre et optimiser le temps de décision dans les systèmes interactifs. Elle s’inscrit dans une logique d’efficacité, en limitant la surcharge mentale imposée aux utilisateurs. Que ce soit dans le développement logiciel, le design web, les interfaces industrielles ou les systèmes embarqués, comprendre les fondements de cette loi permet de concevoir des produits plus intuitifs, plus rapides à utiliser et mieux adaptés aux attentes des utilisateurs.
Poser la question « qu’est-ce que la loi de Hick ? » revient à interroger l’équilibre entre complexité fonctionnelle et accessibilité cognitive ; Cela nécessite aussi de bien s’approprier l’UX Design. Une démarche indispensable dans un monde numérique où chaque milliseconde d’attention compte.
0 commentaires