Aujourd’hui, on parle d’E-reputation, de web 3.0, d’optimisation du social media… D’où cela vient-il au fond ?
Strength of Weak Ties est le titre d’un article du sociologue Mark Granovetter paru dans la revue American Journal of Sociology de mai 1973. Pierre angulaire en sociologie des réseaux, Strength of Weak Ties ou “Force des liens faibles” met en avant une description des réseaux sociaux qui permet la réalisation d’un modèle que vont tâcher, quelques trente ans plus tard, de construire les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou plus récemment Google + et son cortège de liens-cercles. Petit retour sur les idées du texte et ses implications dans les activités actuels “social media” et le networking.
Les interactions des groupes et “l’évidente” force des liens.
Il y a quarante-et-un an, Mark Granowetter constate que la sociologie de son époque permet certes d’étudier des petits groupes, mais ne permet pas d’appréhender les interactions de ces derniers pour en dégager un modèle plus grand. Il décide donc de jeter les bases d’une sociologie qui deviendra celle des réseaux. Afin de comprendre les interactions au niveau des groupes entre eux et plus simplement des individus d’un même groupe entre eux , il ne rejette pas ce qui a déjà été réalisé par d’autres et décide même d’abord de se placer au niveau de l’individu, en prenant les modèles descriptifs fonctionnels.
Dans son article, il essaye premièrement de définir ce qu’est la force d’un lien du point de vue des individus (source : l’article de Mark Granovetter sur jstor.org) :
La force d’un lien est une (probablement linéaire) combinaison de la quantité de temps, d’intensité émotionnelle, d’intimité (confiance mutuelle), et des services réciproques qui caractérisent le lien.
Pour donner la démonstration suivante ensuite en reprenant des travaux antérieurs :
Considérons deux individus A et B et un ensemble S = S,D,E… correspondant à tous les individus ayant une relation avec A, B ou AB.
L’hypothèse de base qui nous permet de relier les liens dyadiques (lien entre deux personnes) à de plus grandes structures est : plus le lien entre A et B est fort, plus grande sera la proportion de personnes en S avec qui ils seront en relation tous deux, reliée par un lien faible ou fort. Ce chevauchement dans leurs cercles d’amitié est prévu pour être bien moins évident lorsque leur lien est absent, très évident quand ce lien est fort, et intermédiaire quand il est faible.
Si les liens AB et AC existent, le temps passé de C avec B dépend (en partie) du total de temps passé de A avec B et C (voir schéma de la triade ci-contre). Si l’événement “A est avec B” et “A est avec C” sont indépendants, alors l’événement “C est avec A et B” aurait une probabilité égale au produit de leurs probabilités. Par exemple, si A et B sont ensemble 60% du temps, et A et C 40%, alors C, A, et B seraient ainsi 24% du temps.
Une indépendance serait moins évidente dès lors que B et C ont fait connaissance. Mark Granovetter dépasse donc le cadre de cette triade. Quid de l’absence de lien entre A et C ?
Les ponts et l’idée maîtresse de la force des liens faibles.
L’idée de pont, très utile dans une réflexion sur votre E-reputation, est complétée dans la suite de l’article. Reprenant les sociogrammes de Davis dans son argumentation, le sociologue nous rappelle que si un lien existe entre A et B mais pas entre A et C, B devient un pont.
L’importance de l’absence de cette triade peut être démontrée en utilisant le concept d’un «pont» ; il s’agit d’une ligne dans un réseau qui fournit le seul chemin entre deux points (…) Chaque personne a un grand nombre de contacts , un pont entre A et B est la seule route le long de laquelle des informations ou d’influence peuvent circuler de tout contact de A à n’importe quel contact de B, et, par conséquent, de toute personne liée indirectement à A à toute personne connectée indirectement à B. Ainsi, dans l’ étude de la diffusion , nous pouvons nous attendre au fait que les ponts assument un rôle important.
Maintenant si A a un autre lien fort à C , et que B et C ont également un lien, de sorte que le chemin ACB existe entre A et B ; de fait , AB n’est plus un pont. Un lien fort peut être un pont que si aucune des parties n’a d’autres liens étroits. Les liens faibles ne souffrent pas de telles restrictions, mais ils ne sont également automatiquement des ponts.
Ce qu’il faut comprendre avec Strength of Weak Ties, c’est que “tous les ponts sont des liens faibles” !
Dans un réseau comme Facebook (de taille gigantesque), il est rare de constater qu’un seul lien soit le pont entre deux contacts, l’occasion ici de se poser la question du pontage avec ce réseau. Facebook permet-il réellement de créer les opportunités que décrit ensuite Mark Granovetter dans son article ? Oui, et plus encore avec à l’idée des groupes constitués.
L’information diffusée dans le social media
Si on donne une information à tous ses amis proches, et qu’ils font de même, beaucoup d’entendre eux vont avoir accès l’information une deuxième, une troisième voire une quatrième fois venant de ceux qui sont liés par des liens solides (forts) et qui ont tendance à partager entre amis. Si la motivation pour informer est atténuée un peu sur chaque vague de récit, le bruit de l’information se déplaçant à travers des liens forts est beaucoup plus susceptible d’être limitée “à quelques clics” que passer par les liens faibles où les ponts ne seront pas coupés.
Dans l’optique de sa démonstration, Granovetter évoque son étude sur des cadres dans la région de Boston qui souhaitent changer de travail. La réponse est claire, ceux qui utilisent les liens faibles maximisent leurs chances de trouver un nouvel emploi. C’est le principe des ponts de l’information via les liens faibles qui est clairement énoncé. Les opportunités naissent de prises de contacts par le biais des liens faibles et l’information circule mieux :
Dans de nombreux cas, le contact était quelqu’un de marginalement inclus dans le réseau actuel de contacts, comme un vieil ami de collège ou un ancien compagnon de travail ou de l’employeur, avec qui des contacts sporadiques avait été maintenus.
Les opportunités sont plus nombreuses en fondant ses recherches (sa prospection) avec des contacts plus éloignés, les vrais ponts d’informations.
Revenant sur le principe des communautés, l’auteur de Strength of weak ties nous rappelle indirectement comment comprendre une communauté, en reprenant des exemples qui ne marchent pas :
Imaginez , pour commencer, une communauté complètement divisée en groupes, de sorte que chaque personne est liée à toutes les autres dans son groupe et aucune à l’extérieur du groupe. L’organisation communautaire serait sévèrement inhibée. La distribution de dépliants, annonces à la radio, ou d’autres méthodes pourraient s’assurer que tout le monde était au courant d’une certaine organisation naissante ; mais les études de diffusion et de communication de masse ont montré que les gens agissent rarement sur l’information de masse-médias, sauf si elle est également transmise par une personnalité.
Les liens faibles sont plus susceptibles d’associer les membres de différents petits groupes que les liens forts. Les liens faibles sont considérés comme indispensables pour les possibles intégrations des individus dans les communautés. A l’inverse, des liens forts (étroits) conduisent à la fragmentation globale, les individus ne fonctionnant qu’avec eux s’isolent.
Petite traduction française de la note préliminaire de Strength of Weak Ties
L’analyse des réseaux sociaux est proposée comme un outil pour relier les niveaux micro et macro de la théorie sociologique. La procédure est illustrée par l’élaboration des implications macro d’un aspect de l’interaction à petite échelle: la force des liens dyadiques. On fait valoir que le degré de chevauchement des réseaux d’amitié de deux individus varie directement avec la force du lien entre eux. L’incidence de ce principe sur la diffusion de l’influence et de l’information, la possibilité d’une mobilité, et l’organisation communautaire est explorée. L’accent est mis sur la force de cohésion des liens faibles. La plupart des modèles de réseaux traitent, implicitement, avec des liens forts, limitant ainsi leur applicabilité à de petits groupes, bien définis. L’accent sur les liens faibles se prête à la discussion par les relations entre les groupes et l’analyse des segments de la structure sociale qui ne sont pas si facilement définis en termes de groupes primaires.
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