À l’heure où les frontières entre le commerce physique et numérique s’estompent, un terme revient régulièrement dans le paysage économique : click and mortar. Cette expression d’origine anglo-saxonne (également connue sous la forme bricks and clicks) décrit un modèle d’entreprise qui combine présence en ligne et réseau de points de vente physiques. Ce double canal devient un standard stratégique pour de nombreuses enseignes qui cherchent à maximiser leur portée, renforcer l’expérience client et optimiser leurs performances. Que vous soyez professionnel du marketing, dirigeant de PME ou simple consommateur curieux, comprendre les mécanismes du modèle click and mortar est essentiel pour appréhender les dynamiques actuelles du commerce. Plongeons dans l’univers de cette approche hybride, de ses avantages à ses implications concrètes pour les entreprises et les consommateurs.
L’origine et la définition du modèle click and mortar
Le terme click and mortar (parfois donc appelé bricks and clicks) trouve ses racines dans le contexte de l’explosion d’Internet commercial dans les années 1990, principalement aux États-Unis. Il désigne une stratégie commerciale combinant les canaux physiques (mortar, le mortier qui scelle les briques des boutiques traditionnelles) et numériques (click, en référence au clic de souris sur les sites web). Cette expression aurait été popularisée en 1999 par le cabinet d’analyse Forrester Research, alors qu’il observait l’émergence de modèles d’affaires hybrides dans un monde jusqu’alors dominé par le commerce traditionnel ou les pure players.
Pour mieux comprendre son apparition, il faut revenir sur les premières expériences de commerce électronique. En 1994, la première transaction sécurisée sur Internet est réalisée par NetMarket. Dès lors, des entreprises comme Amazon (fondée par Jeff Bezos en 1994) et eBay (créé en 1995) démontrent la puissance du modèle 100 % en ligne. Ces sociétés deviennent rapidement des icônes du e-commerce, mais leur développement met aussi en lumière certaines limites, notamment en matière de logistique, de confiance des consommateurs et de relation client. C’est dans ce contexte que des entreprises déjà bien implantées dans le commerce physique commencent à intégrer Internet dans leur stratégie commerciale. Elles veulent profiter des avantages du numérique (accessibilité, extension de la clientèle, personnalisation) tout en conservant la valeur de leur réseau physique (proximité, service, conseil, retrait immédiat). Cette hybridation donne naissance au modèle click and mortar.
En France, le modèle s’affirme au début des années 2000. La Fnac lance son site e-commerce dès 1999, suivie de près par Darty, qui intègre dès 2002 des services numériques dans ses magasins. Decathlon fait également partie des pionniers, avec une volonté de lier stock en ligne et en boutique dès les années 2010. Le distributeur Carrefour, quant à lui, déploie progressivement son service de drive (achat en ligne et retrait en voiture) à partir de 2011, répondant à une demande croissante de praticité. Dans le secteur bancaire, BNP Paribas et la Société Générale amorcent dès les années 2000 la digitalisation de leurs services tout en maintenant un maillage dense d’agences.
Ces initiatives traduisent une évolution du comportement des consommateurs : les clients ne veulent plus choisir entre boutique et site web. Ils veulent pouvoir consulter un article en ligne, l’essayer en magasin, commander sur leur mobile et le retirer dans l’heure. Cette flexibilité repose sur une stratégie dite omnicanale, dont le modèle click and mortar est l’illustration concrète.
Le click and mortar est ainsi une réponse structurée à l’évolution des usages, permise par le développement technologique (réseaux mobiles, données, géolocalisation, intelligence artificielle) et consolidée par des attentes clients en constante transformation. Aujourd’hui, même des marques originellement numériques comme Zalando ou Amazon explorent des formes de présence physique : Amazon a ouvert des librairies et même des supermarchés sans caisse aux États-Unis (Amazon Go), illustrant ainsi la tendance inverse des clicks to bricks.
Les avantages du modèle click and mortar pour les entreprises et les consommateurs
Opter pour une stratégie click and mortar ne se limite pas à diversifier les canaux de distribution. Il s’agit d’une véritable refonte de l’expérience commerciale, pensée pour s’adapter aux nouveaux usages et attentes des consommateurs. Ce modèle hybride offre une complémentarité précieuse entre le digital et le physique, ce qui en fait un levier de croissance, de résilience et de fidélisation, autant pour les entreprises que pour leurs clients. Voici un aperçu élargi des principaux bénéfices :
Avantages pour l’entreprise | Avantages pour le client |
---|---|
Augmentation de la visibilité sur plusieurs canaux | Possibilité de choisir entre l’achat en ligne et en magasin |
Meilleure collecte de données sur les comportements d’achat | Accès à un stock plus large grâce à la synergie des canaux |
Fidélisation renforcée grâce à une expérience client cohérente | Click and collect ou retour produit facilité |
Capacité à adapter les offres selon le canal de vente | Service client amélioré et personnalisation de l’offre |
Réduction des coûts logistiques par une gestion unifiée des stocks | Disponibilité accrue des produits avec des délais de livraison réduits |
Optimisation de la performance commerciale par l’analyse des parcours clients | Parcours d’achat plus fluide, entre navigation en ligne et interaction humaine |
Souplesse stratégique face aux évolutions du marché ou aux crises conjoncturelles | Plus grande autonomie grâce aux services en ligne (prise de rendez-vous, SAV, paiements sécurisés) |
Un des atouts majeurs du modèle click and mortar réside dans sa capacité à répondre à des comportements d’achat de plus en plus complexes. Aujourd’hui, un consommateur peut repérer un produit sur son smartphone, vérifier sa disponibilité en magasin, le commander en ligne, puis le retirer dans l’heure au point de vente. Ce type de parcours serait impossible sans une synergie fluide entre les canaux digitaux et physiques. En s’inscrivant dans cette logique, l’entreprise devient plus accessible, plus réactive et plus proche de sa clientèle.
Du point de vue de l’entreprise, cette approche favorise également une meilleure exploitation des données. En recoupant les informations issues des achats en ligne, des visites en magasin, des programmes de fidélité et des interactions sur les réseaux sociaux, elle peut affiner ses campagnes marketing, anticiper les tendances, ajuster ses stocks ou encore recommander des produits de manière personnalisée. C’est un cercle vertueux qui renforce l’engagement client tout en optimisant les performances commerciales.
Ce modèle s’est également révélé particulièrement résilient en période de crise. La pandémie de COVID-19, survenue en 2020, a brutalement rappelé aux entreprises l’importance de la diversification des canaux. Les enseignes qui avaient déjà investi dans le digital ont pu basculer rapidement vers la vente en ligne, tout en adaptant leurs infrastructures physiques : mise en place de services de drive, élargissement des plages horaires, systèmes de réservation en ligne, click and collect sécurisé, etc. C’est ainsi que des groupes comme Leclerc, Intermarché ou encore Boulanger ont su maintenir une activité stable malgré les confinements successifs.
Mais au-delà de la simple réactivité, le click and mortar permet aussi de créer une expérience différenciante. En magasin, les vendeurs peuvent s’appuyer sur les données issues du site web pour mieux conseiller les clients. À l’inverse, les plateformes numériques peuvent proposer des services personnalisés basés sur les achats réalisés en boutique. Le client se sent reconnu quel que soit le canal utilisé, ce qui renforce sa confiance envers la marque.
Du point de vue du consommateur, le modèle apporte une flexibilité très appréciée. Il ne s’agit plus de choisir entre rapidité ou accompagnement, prix bas ou proximité. Le client bénéficie d’un écosystème complet qui lui laisse la liberté de composer son parcours d’achat selon ses contraintes, son humeur ou ses priorités. Ce niveau de liberté devient un facteur différenciant dans un univers où l’offre est devenue abondante et concurrentielle.
Les défis et difficultés à relever pour réussir une stratégie bricks and clicks
Si le modèle click and mortar (ou bricks and clicks) séduit par sa promesse d’un commerce plus agile, plus accessible et mieux adapté aux usages contemporains, il repose sur une mise en œuvre complexe. Ce modèle suppose non seulement un alignement stratégique mais aussi une transformation opérationnelle profonde, qui touche à l’infrastructure technique, à la logistique, aux ressources humaines et à la gouvernance des données. Pour en garantir l’efficacité, il est indispensable de relever plusieurs défis technico-organisationnels majeurs.
- Intégration des systèmes : L’un des fondements techniques de la stratégie bricks and clicks est l’interopérabilité des systèmes d’information. Les plateformes e-commerce (CMS), les logiciels de caisse (POS), les ERP (Enterprise Resource Planning), les WMS (Warehouse Management System) et les CRM (Customer Relationship Management) doivent pouvoir communiquer de manière bidirectionnelle, en temps réel. Cela implique l’usage d’API robustes, d’architectures orientées services (SOA), de microservices ou de middlewares spécialisés permettant d’harmoniser les flux de données entre les différents systèmes. Une architecture intégrée permet, par exemple, de déclencher une alerte stock automatique lorsqu’un produit est acheté en ligne, ou d’unifier les profils clients entre les points de vente physiques et digitaux. Sans cette intégration, les données restent silotées, rendant impossible une vision 360° du client, une cohérence dans les offres, et une gestion efficace des opérations.
- Logistique unifiée et pilotage temps réel : Pour garantir des services tels que le click and collect, le ship-from-store, ou le retour omnicanal (produit acheté en ligne et retourné en magasin), il est indispensable de synchroniser l’ensemble des flux logistiques. Cela repose sur une gestion centralisée des stocks, qui couvre aussi bien les entrepôts que les points de vente. La traçabilité des produits doit être complète, de l’entrée en stock jusqu’à la remise au client. Des technologies comme la RFID, la lecture code-barres mobile ou les systèmes de gestion d’entrepôt interconnectés deviennent clés. Le pilotage en temps réel permet de mettre à jour instantanément la disponibilité d’un produit sur les différents canaux et d’optimiser l’orchestration des commandes selon les ressources et les localisations. Cela réduit les délais, limite les coûts de transport et améliore la satisfaction client.
- Formation et transformation des compétences : Dans une organisation bricks and clicks, les équipes en contact avec le client jouent un rôle stratégique. Les vendeurs en magasin ne se contentent plus de vendre : ils doivent être capables de consulter les historiques clients, d’initier une commande en ligne depuis le magasin, ou encore de gérer des retours e-commerce. Cette évolution nécessite une formation technique (manipulation des outils digitaux comme les tablettes connectées, les terminaux de paiement multi-canal, les applications de catalogue produit), mais aussi une acculturation à l’omnicanalité et aux attentes nouvelles des clients. Par ailleurs, les managers doivent savoir piloter les indicateurs de performance omnicanaux, et les équipes support doivent être en mesure d’accompagner des processus de vente fragmentés dans le temps et dans l’espace. La réussite du modèle passe donc par une politique RH adaptée, orientée vers l’agilité et l’évolution continue des compétences.
- Personnalisation de l’expérience client : La valeur ajoutée du modèle click and mortar réside dans la continuité et la pertinence de l’expérience utilisateur à travers les canaux. Pour y parvenir, il faut analyser et croiser des données multiples : navigation sur le site, historique d’achat, interactions avec le service client, comportement en point de vente, avis laissés en ligne. Ces données doivent ensuite nourrir des outils de recommandation, des moteurs de personnalisation, et des campagnes marketing ciblées. L’intelligence artificielle – à travers le scoring prédictif, la segmentation dynamique, ou les chatbots conversationnels – permet de proposer des contenus et des offres sur mesure. Mais la réussite repose sur une infrastructure capable d’unifier, nettoyer, sécuriser et rendre exploitable cette donnée, souvent dispersée entre plusieurs outils et plateformes.
- Protection des données et conformité réglementaire : La centralisation et l’exploitation des données clients soulèvent des enjeux majeurs de conformité, notamment vis-à-vis du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Cela implique de mettre en place une gouvernance des données robuste : cartographie des traitements, registre de consentements, procédures de réponse aux demandes d’accès ou de suppression, et sécurité des infrastructures. Les flux doivent être chiffrés, les accès restreints selon des niveaux d’autorisation, et des audits réguliers doivent garantir la conformité continue. En parallèle, les entreprises doivent renforcer leur résilience face aux menaces cyber : tests d’intrusion, authentification forte, pare-feux intelligents et plans de reprise d’activité. La confiance numérique devient un prérequis non négociable pour la fidélisation des clients dans un environnement omnicanal.
À ces défis s’ajoutent des problématiques de pilotage global. En effet, réussir une stratégie bricks and clicks, c’est être capable de penser l’entreprise en réseau : plus qu’un enchaînement de points de contact, c’est un écosystème interconnecté qu’il faut animer. Cela suppose une direction IT fortement impliquée dans les décisions commerciales, une organisation des équipes en mode projet, et des indicateurs de performance transverses qui intègrent aussi bien les KPIs digitaux (taux de conversion, panier moyen, rebond) que les métriques traditionnelles (trafic en boutique, indice de vente, satisfaction client).
Enfin, le modèle click and mortar doit rester évolutif. Les innovations technologiques (réalité augmentée, assistant vocal, automatisation logistique) transforment sans cesse les usages, obligeant les enseignes à tester, itérer et intégrer de nouvelles solutions sans déstabiliser l’existant. L’agilité technologique devient un facteur de réussite : Architecture cloud, solutions SaaS, microservices et capacité à déployer des MVP (produits minimum viables) rapidement sont autant de leviers pour rester compétitif.
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